11 juin 2020
Travailleurs-ses non protégés, salaires non payés, ouvrier-e-s ballotés selon les évolutions du marché : la pandémie du COVID-19 a tout à la fois exacerbé et mis en lumière les violations des droits humains dans les chaînes de valeur mondialisées. Ces dernières ne seront pas enrayées si nous laissons les multinationales en roue libre dans la mondialisation économique.
Face à l’urgence sanitaire, en France notamment, de grands groupes ont engagé des moyens pour participer à l’effort collectif de lutte contre la pandémie, en produisant du gel hydroalcoolique, des masques ou des respirateurs. Ces initiatives révèlent la capacité de certains grandes entreprises à se mettre rapidement au service de l’intérêt général lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent. Mais pour ne pas prêter le flanc au procès de "covid-washing", ces efforts doivent s’inscrire dans une politique visant à constituer des stocks stratégiques au niveau mondial. Surtout, ils ne sauraient être laissés à leur libre choix, ni déconnectés de leur responsabilité à ne pas nuire au bien-être des individus et des populations tout au long de leur chaîne de valeur, en dehors des grandes crises.
La pandémie a ainsi mis en lumière la vulnérabilité et la précarité à laquelle notre économie mondialisée expose les travailleur.euse.s. Pour les plus fragiles, la situation s’est bien souvent réduite à un chômage sans filet social ou à une poursuite du travail au péril de leur santé. Au Bangladesh, des grandes enseignes d’habillement comme Primark ou Gap ont annulé plus de 2,5 milliards de dollars de commandes parfois déjà produites, faisant peser le coût des pertes sur leurs sous-traitants. Le résultat immédiat a été de priver plusieurs centaines de milliers d’ouvrier-e-s de leurs salaires, sans qu’ils-elles n’aient de recours. Aux Philippines, des salariés du géant français des centres d’appel Teleperformance ont été contraints de dormir sur leur lieu de travail dans des conditions sanitaires déplorables afin de continuer à toucher leurs salaires. Au Brésil, la multinationale Vale poursuit son activité sans avoir pris de mesures sanitaires de protection des employé-e-s travaillant sur ses complexes miniers. Au Mozambique, la construction d’un énorme complexe gazier dont Total est l’opérateur est devenue l’épicentre de l’épidémie dans le pays.
De tels dénis de droits fondamentaux révèlent la logique de rentabilité qui prévaut au sein des multinationales, y compris en pareilles circonstances, et la différence d’attitude selon l’intensité des feux médiatiques.
La loi française sur le devoir de vigilance, adoptée en mars 2017, a voulu constituer un début de réponse à ce déni, en obligeant les grands groupes français à garantir le respect des droits fondamentaux dans le cadre des activités de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants à travers le monde, en s’assurant notamment que les personnes qui produisent les biens et services que nous achetons bénéficient d’un salaire vital et d’une protection sociale. Il faut généraliser cette brèche dans l’impunité des multinationales.
Ces dernières, par leurs structures complexes et leur mainmise sur des secteurs d’activités stratégiques, ont une responsabilité centrale dans les multiples crises auxquelles nous faisons face, qu’elles soient d’ordre sanitaire, économique, social, environnemental ou climatique, notamment vis-à-vis des pays du Sud, qui en subissent en première ligne les impacts. Face à cet état de fait, la réponse des Etats ne peut se réduire à des mesures nationales, ponctuelles, et en aucun cas à des sauvetages financiers d’industries nocives sans conditions environnementales et sociales. Les Etats doivent obliger les multinationales à une responsabilité qui ne soit ni opportuniste, ni mue par un danger imminent. Ils doivent se recentrer sur leur rôle de régulateur et de protecteur de l’intérêt général, en instaurant entre autres un devoir de vigilance au niveau européen par le biais d’une directive, comme le demandent les mouvements sociaux, et en adoptant le traité international sur les multinationales et les droits humains en discussion à l’ONU depuis 2014.
La crise actuelle incite à des changements de politiques radicaux pour construire dès aujourd’hui un monde différent. Les citoyen-ne-s ne s’y sont pas trompés, qui se mobilisent et exigent une économie au service des droits pour une mondialisation responsable. Les appels se multiplient en ce sens, il est vital qu’ils soient entendus.
TRIBUNE SIGNÉE PAR :
Danielle Auroi, présidente, Forum citoyen pour la RSE
Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente, CCFD-Terre Solidaire
Cécile Coudriou, présidente, Amnesty International France
Guillaume Duval, président, Collectif Ethique sur l’étiquette
Khaled Gaiji, président, Amis de la Terre France
Franceline Lepany, présidente, Sherpa
Luc de Ronne, président, ActionAid France
Arnaud Schwartz, président, France Nature Environnement
Cécile Duflot, directrice générale, Oxfam France