Le 21 février 2017, après cinq années de combat menées par le Collectif Ethique sur l’étiquette et une large coalition d’ONG et de syndicats membres du Forum citoyen pour la RSE, l’Assemblée nationale a adopté la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre.
Cette loi est une première au monde, et marque une avancée historique vers le respect des droits humains et environnementaux par les entreprises multinationales : elle exige des grandes multinationales françaises ou présentes en France qu’elles publient et mettent en œuvre un plan de vigilance, permettant d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes aux droits humains, à l’environnement et aux libertés fondamentales que peut causer leur activité, mais également celle de leurs filiales et de leurs sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l’étranger. Il sera possible d’engager la responsabilité civile de l’entreprise en cas de manquement à ces nouvelles obligations. Le texte ouvre ainsi de nouvelles possibilités pour les victimes d’accéder à la justice et d’obtenir réparation, même si cette dernière étape demeure un parcours du combattant.
Le 23 mars 2017, le Conseil Constitutionnel, saisi par des sénateurs et des députés du parti Les Républicains et plusieurs fédérations ou associations patronales qui jugeaient le texte contraire à la liberté d’entreprendre, a jugé dans sa quasi-totalité le texte conforme à la Constitution. Il valide ainsi la création d’une obligation de vigilance pour les entreprises multinationales françaises en matière de protection des droits humains et de l’environnement.
Ce texte de progrès est une première au niveau mondial. Le gouvernement français doit le protéger et s’assurer de son application.
C’est aussi désormais aux niveaux européen et international que la construction de législations contraignantes doit se poursuivre. La France doit porter cette initiative au niveau européen et s’impliquer dans les processus internationaux qui vont dans le même sens, tel que le projet de Traité onusien sur les multinationales et les droits humains Traité onusien sur les multinationales et les droits humains, afin de garantir une mondialisation plus respectueuse des hommes et de l’environnement.
RETOUR SUR LES GRANDES ÉTAPES DU PROCESSUS LÉGISLATIF
– Le 29 janvier 2015, les députés renvoient en commission la première proposition de loi sur le devoir de vigilance.
– Le 30 mars 2015, l’adoption en première lecture par l’Assemblée Nationale d’une deuxième version de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre vient ponctuer d’une première victoire historique 3 années de mobilisation autour d’un texte de loi visant à responsabiliser juridiquement les multinationales.
– Le 18 novembre 2015, le Sénat rejette le texte en première lecture. Les amendements d’amélioration de la loi déposés par les socialistes n’ont pas pu être discutés, en raison du dépôt par le rapporteur pour le Sénat du parti Les Républicains de trois amendements de suppression, bloquant le débat sur le texte.
– Le 23 mars 2016, malgré les pressions exercées par les organisations patronales et les lobbies économiques, le texte de loi est adopté en 2ème lecture par l’Assemblée nationale mais dans une version moins ambitieuse qu’initialement prévue puisqu’il ne vise que les plus grandes multinationales françaises (entre 150 et 200 entreprises) excluant ainsi des entreprises de secteurs à haut risque.
– Le 13 octobre 2016, lors de son passage en deuxième lecture au Sénat, la majorité sénatoriale opposée au texte de loi adopte des amendements qui le transforment en simple recommandation de "reporting" extra-financier,, le vidant ainsi de sa substance.
– Le 29 novembre 2016, la proposition de loi est adoptée en 3ème lecture par l’Assemblée Nationale. L’objectif central est réaffirmé par les députés, à savoir : créer une obligation pour les grandes entreprises de publier et mettre en oeuvre un plan de vigilance permettant d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement liés à leurs activités, tout au long de leur chaîne de valeur.
– Le 1er février 2017, à la suite du dépôt d’une motion d’irrecevabilité par le parti Les Républicains, la proposition de loi est de nouveau rejetée par le Sénat sans qu’il y ait de nouveau débat sur les amendements du texte avant le vote définitif à l’Assemblée Nationale.
– Le 21 février 2017, après 2 années de parcours législatif, la proposition de loi est définitivement adoptée par l’Assemblée Nationale.
– Le 23 février 2017, au lendemain de l’adoption définitive de la loi par l’Assemblée nationale, des députés et des sénateurs Les Républicains, ainsi que plusieurs fédérations patronales saisissent le Conseil Constitutionnel afin de censurer le texte, le jugeant contraire à la liberté d’entreprendre. Nos organisations répondent en adressant un mémoire au Conseil pour défendre la loi.
– Le 23 mars 2017, le Conseil Constitutionnel juge dans sa quasi-totalité le texte conforme à la Constitution validant ainsi la création d’une obligation de vigilance pour les entreprises multinationales françaises en matière de protection des droits humains et de l’environnement.
L’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013, le naufrage de l’Erika en 1999, la catastrophe du Bhopal en 1984, l’incendie de la fabrique de chaussures Kentex Manufacturing aux Philippines en 2015, etc. : les tragédies industrielles s’accumulent au fil des ans, fruits d’une situation inacceptable qui autorise les multinationales à tirer profit de la mondialisation économique sans assumer les dommages sociaux et environnementaux causés par leurs activités le long de leurs chaînes de production.
Pourtant, jusqu’au 21 février 2017, il n’existait aucune loi, en France ou ailleurs, qui rende les maisons mères ou les donneurs d’ordres responsables des agissements de leurs filiales et sous-traitants et de leurs conséquences sur les droits humains et l’environnement.
C’est après cinq années de combat menées par le Collectif Éthique sur l’étiquette et une large coalition d’ONG et de syndicats, membres du Forum citoyen pour la RSE, que l’Assemblée nationale a définitivement adopté la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, le 21 février 2017.
Depuis des années, le Collectif ESE et de nombreux acteurs de la société civile se battent pour que les multinationales soient reconnues juridiquement responsables des violations de droits humains et des dommages environnementaux causés par leurs activités en France comme à l’étranger. Une responsabilité qui leur est pourtant reconnue dans les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme des Nations Unies, auxquels la France, entre autres, a adhéré en juin 2011.
2012 : la naissance de la loi
En 2012, un cercle parlementaire de réflexion est créé par Danielle Auroi (EELV), présidente de la Commission des affaires européennes et Dominique Potier (SRC), membre de la commission des affaires économiques, à la demande du Collectif Éthique sur l’étiquette et de ses alliés syndicats et ONG dans le cadre du Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociale des Entreprises (FCRSE) pour travailler à l’élaboration d’une loi qui imposerait aux entreprises de réellement mettre en œuvre une politique de prévention des risques et des responsabilités, et qui permette un accès juste et effectif des victimes à la justice.
Le 6 novembre 2013, la loi "Devoir de vigilance" est déposée par les députés socialistes, après le renvoi en commission d’un premier texte plus ambitieux porté par 4 groupes parlementaires à gauche (SRC, EELV, RRDP, GDR). Ce texte est soutenu par une coalition inédite d’ONG et syndicats et par les citoyen-ne-s français qui sont plus de 190 000 à avoir signé la pétition en faveur de ce texte de loi.
Depuis le lancement du Cercle Parlementaire jusqu’à son adoption définitive le 21 février 2017, la loi a toujours été contestée par la représentation patronale des grandes entreprises, lesquelles ont toujours dit qu’elle représentait un frein à la compétitivité des entreprises françaises en concurrence avec les entreprises chinoises, indiennes et autres. Un argument que nous avons toujours contesté puisque d’une part elle permet de valoriser à l’international les entreprises les plus responsables en matière sociale et environnementale. D’autre part, la France devient ainsi un exemple dans ce domaine, pouvant inciter au développement de législations européennes et internationales allant dans le même sens.
2015 : Le commencement d’un parcours législatif tumultueux
Le 31 mars 2015, malgré la pression des organisations patronales pour que cette loi ne voie pas le jour, le texte de loi était adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale. Mais dans une version moins ambitieuse qu’initialement prévue : seuls les 150 plus grands groupes français sont concernés et c’est aux victimes qu’il revient de prouver la faute de l’entreprise et le lien de contrôle entre la maison mère et ses filiales et sous-traitants. Le 18 novembre 2015, après son premier passage en plénière au Sénat, les amendements d’amélioration du texte de loi déposés par les socialistes n’avaient pu être discutés, en raison du dépôt par le rapporteur du parti Les Républicains de trois amendements de suppression bloquant le débat sur le texte.
Malgré l’opposition de la droite sénatoriale et la pression des lobbies économiques, la loi était adoptée en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale en mars 2016, puis au Sénat le 13 octobre 2016 mais dans une version fortement modifiée qui la dénaturait. Les sénateurs de droite et du centre avaient voté des amendements qui vidaient le texte de sa substance, le transformant en simple recommandation de "reporting" extra-financier, obligeant les entreprises à publier des informations sur l’impact de leurs activités, notamment sur l’environnement. Une mesure de transparence, poussée par nos organisations depuis des années, déjà existantes dans la législation française.
Les députés avaient donc travaillé à réaffirmer l’objectif central du texte, à savoir : créer une obligation pour les grandes entreprises de réaliser un plan de vigilance permettant d’identifier et prévenir les risques liés à leurs activités, tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. Le 29 novembre 2016, le texte de loi était adopté dans cette nouvelle version en 3ème lecture à l’Assemblée Nationale mais toujours limité sur le type d’entreprises concerné (les 150 plus grands groupes français qui embauchent entre 5000 et 10000 salariés), les dispositions prévues pour faciliter l’accès des victimes à la justice et le régime de responsabilité de la société.
Le 1er février 2017, en troisième et dernière lecture au Sénat le texte avait de nouveau été rejeté par la majorité sénatoriale après que le rapporteur de la loi du parti Les Républicains avait déposé une motion d’irrecevabilité du texte, jugeant certaines dispositions anticonstitutionnelles. Le texte était alors renvoyé sans nouvelles modifications à l’Assemblée Nationale pour le vote final programmé le 21 février 2017. Cet ultime rejet, avant le vote définitif, confirmait l’opposition de principe de la majorité sénatoriale à un texte de progrès visant le respect des droits humains et de l’environnement.
Le 21 février 2017, après deux années de parcours législatif, l’Assemblée nationale adoptait définitivement la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre. 48 heures plus tard, sans surprise, les députés et sénateurs Les Républicains avaient saisi le Conseil constitutionnel pour "alerter" sur une possible inconstitutionnalité du texte, en arguant de la liberté d’entreprendre pour dire que la loi représentait un obstacle et un frein à la compétitivité des entreprises françaises qui seraient en concurrence avec des entreprises chinoises, indiennes ou autres. Nos organisations avaient répondu en adressant un mémoire au Conseil pour défendre la loi et démontrer sa conformité avec la constitution.
Le 23 mars 2017, un mois après avoir été saisi, le Conseil Constitutionnel a jugé conforme l’essentiel du texte, validant ainsi la création d’une nouvelle obligation de vigilance pesant sur les entreprises multinationales, en matière de protection des droits humains et de l’environnement. Même s’il a censuré les dispositions du texte instituant une amende, sa décision confirme la possibilité d’engager devant le juge la responsabilité des entreprises concernées en cas de manquement à leurs nouvelles obligations. C’est une énorme victoire, due à la mobilisation citoyenne.
S’il marque une avancée historique pour le respect des droits humains par les multinationales, ce texte de loi aurait toutefois pu être plus ambitieux. Comme depuis le commencement des débats, il ne couvre qu’une centaine de grands groupes français et la charge de la preuve incombe toujours aux victimes, lesquelles ne disposent parfois pas des outils et moyens suffisants pour le faire. S’ajoute à cela que si un dommage survient alors que la société mère a bien mis en œuvre un plan de vigilance, sa responsabilité ne sera pas engagée puisqu’elle n’a pas à garantir le résultat mais seulement qu’elle a fait tout son possible pour éviter le dommage.
C’est désormais aux pays européens et à la communauté internationale de s’inspirer de cette disposition et de développer des législations allant dans le même sens.