Tribune 

Champs d’éoliennes d’EDF : des populations mexicaines dénoncent la violation de leurs droits fondamentaux

La communauté d’Unión Hidalgo, dans l’Etat d’Oaxaca au Mexique, reproche à EDF de n’avoir pas respecté « ses droits humains et ses libertés fondamentales » dans la mise en œuvre d’un nouveau projet d’une centaine d’éoliennes à construire sur ses terres. Une demi-douzaine d’ONG, dont Sherpa, CCFD-Terre solidaire et la Ligue des droits de l’Homme, la soutienne dans une tribune que « l’Obs » publie.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

En octobre 2014, « l’Obs » avait publié une enquête sur la révolte des populations de l’Etat d’Oaxaca, au Mexique, contre les champs d’éoliennes bâtis par des entreprises étrangères, dont EDF, sur fond d’expropriations musclées et de morts suspectes. Deux ans plus tard, l’électricien français remportait un appel d’offres pour la construction d’une centaine d’éoliennes supplémentaires. Soutenue par plusieurs ONG, la communauté mexicaine d’Unión Hidalgo vient d’écrire à la direction d’EDF, la mettant en demeure d’exercer son « devoir de vigilance » – devoir prévu par la loi de mars 2017 – sur la possible « violation des droits humains et les libertés fondamentales » provoquée par son projet. Une partie de la communauté, qui n’a été ni consultée ni informée au préalable, s’oppose à la réalisation de ce nouveau parc d’éoliennes sur leur terre qui en accueille déjà 27. Nous publions ici leur tribune :

En octobre 2016, l’entreprise EDF annonçait que sa filiale mexicaine venait de remporter un appel d’offres pour un nouveau projet éolien dans l’Etat de Oaxaca au Mexique, le projet Gunaa Sicarú. En vue, la construction d’un parc de 115 éoliennes au sein de la commune d’Unión Hidalgo, dans une région qui a vu, ces dernières années, se multiplier les méga projets énergétiques : « cet horizon saturé d’hélices ; cette forêt d’énormes pylônes blancs, de colosses mécaniques, à perte de vue ». Ces bouleversements n’ont pas seulement affecté le paysage de la région, ils ont également alimenté de violents conflits sociaux, les communautés indigènes concernées dénonçant la violation de leurs droits économiques, sociaux et culturels, et leur exclusion d’une transition écologique imposée au bénéfice de multinationales étrangères.

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Peu après son annonce, EDF s’accordait avec les autorités mexicaines sur un régime spécial d’exemption fiscale. Pendant ce temps, la communauté (pour majorité zapotèque) d’Unión Hidalgo n’avait été ni consultée, ni même informée de ce nouveau projet.

Soutenus par l’association mexicaine de défense des droits humains ProDESC (Proyecto de Derechos Económicos, Sociales y Culturales), des représentants de la communauté d’Unión Hidalgo et défenseurs des droits humains se sont tournés vers la France, lieu du siège de la multinationale, et ont saisi en février 2018 le Point de contact national (PCN) français dans l’espoir d’obtenir une protection de leurs droits fondamentaux.

Ce mécanisme tripartite, constitué de représentants du gouvernement français, du Medef et des syndicats, opère sous l’égide de la Direction générale du Trésor. Il a entre autres pour mission de participer à la résolution des questions soulevées par la violation, par une multinationale française, des « Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales », en mettant en place une procédure de médiation entre les plaignants et les multinationales concernées.

En juillet dernier, les parties mexicaines ont claqué la porte du PCN, mettant fin à leur saisine. Elles dénoncent les graves défaillances de cette procédure, y compris son opacité, l’absence de décision claire sur les conflits d’intérêts liés à l’actionnariat d’EDF, contrôlé par l’Etat, ou encore l’interprétation extensive du principe de confidentialité exigée par le Secrétariat général du PCN, limitant la possibilité pour les parties mexicaines de communiquer sur la procédure de médiation en cours.

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Ces critiques ne sont pas nouvelles. Depuis des années, nos organisations dénoncent les graves déficiences du PCN français et le simulacre de justice qui s’y tient, sous le sceau de la confidentialité, loin des yeux du public. Plus fondamentalement, ces déficiences illustrent l’incapacité du PCN français, dépourvu de sanction et affaibli par des conflits d’intérêts, à assurer l’accès à la justice pour les victimes d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Elles démontrent aussi la nécessité de renforcer le régime de responsabilité des entreprises aux niveaux européen et international, à l’heure où un traité contraignant en la matière est en cours de négociations à Genève.

Malheureusement, dans de nombreux cas de violations par des entreprises françaises, le PCN reste à l’heure actuelle le seul recours ouvert pour les victimes, aussi limité soit-il. C’est notamment le cas pour la plupart des entreprises qui ne sont pas couvertes par la loi sur le devoir de vigilance.

En mars 2018, nos organisations ont formellement interpellé Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et Eric David, président du PCN, soulignant le besoin de réforme structurelle du PCN : nous demandions de réformer sa composition et sa gouvernance pour assurer son impartialité, de donner les moyens au PCN d’exercer ses fonctions et, surtout, d’améliorer la transparence et la prévisibilité de sa procédure pour les victimes.

Nous n’avons pas reçu de réponse à ce courrier, ni à notre relance de janvier 2019. La plainte contre EDF, première saisine du PCN portée par une ONG depuis 2015, était l’occasion de prendre en compte nos demandes de réforme et de restaurer la confiance de la société civile dans cette procédure. C’est encore une occasion manquée.

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Face à l’échec du PCN, le 26 septembre, les plaignants mexicains, soutenus par le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), ont formellement mis EDF en demeure de respecter ses obligations issues de la loi française sur le devoir de vigilance. Espérons que les mécanismes judiciaires prévus par cette loi permettront, eux, d’assurer l’accès à la justice pour les victimes et de remédier aux dysfonctionnements du PCN.

Signataires :

Sandra Cossart, directrice de Sherpa

Sylvie Bukhari de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire

Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH)

Guillaume Duval, président du Collectif Ethique sur l’étiquette

Miriam Saage-Maass, directrice juridique du Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR)

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Alejandra Ancheita, fondatrice et directrice de Proyecto de Derechos Económicos, Sociales y Culturales (ProDESC)

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